Autorité et pouvoir

Sfera n. 5, 1965, d’Arnaldo Pomodoro, exposition au Museo del Novecento, Milan

Cet article me donne l’occasion de faire le point sur deux dimensions qui apparaissent en coaching d’entreprise, l’autorité et le pouvoir, et qui sont des axes de travail possibles pour les managers et les collaborateurs. En sociologie clinique, dont je tire mon référentiel d’intervention, il est proposé d’analyser les représentations que nous avons de l’autorité et du pouvoir, en lien avec notre milieu social et notre éducation par exemple, qui peuvent avoir un impact sur notre relation à la hiérarchie, voire notre évolution professionnelle en entreprise.

Selon André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique, éditions puf, 2001, l’autorité se définit ainsi : « Le pouvoir légitime ou reconnu, ainsi que la vertu qui sert à l’exercer. C’est le droit de commander et l’art de se faire obéir ». Il établit ainsi un lien direct avec le pouvoir : « pouvoir, c’est pouvoir faire. Encore faut-il distinguer le pouvoir de, qu’on appellerait puissance (pouvoir marcher, parler, acheter, faire l’amour …), et le pouvoir sur, qui porte sur les êtres humains et qui est le pouvoir au sens strict. C’est le secret du pouvoir : il s’exerce même quand il n’agit pas ; il gouverne même quand il n’ordonne pas. »

Autre relation mise en évidence dans le Vocabulaire de psychosociologie* par Jacques Ardoino (page 63) : autorité et autorisation, car il y a un lien de « subordination ou de dépendance, d’un rapport hiérarchique entre celui ou ceux qui donne(nt) l’autorisation et celui ou ceux qui la sollicite(nt) et la reçoive(nt) ». Il ajoute : « L’autorité sera définie comme le pouvoir de se faire respecter, obéir, celui de commander, de décider ».

J’ai remarqué que les personnes qui entreprennent une démarche de coaching viennent souvent rechercher de l’autorisation, consciemment ou non (par elle-même ou par le coach).

Jacqueline Barus-Michel et Eugène Enriquez définissent quant à eux dans le même ouvrage la notion de pouvoir : « Le pouvoir est indissociable de la relation et de la coopération. Il est associé à la vie, mais a partie liée avec la mort. Il est à la fois convoité et subi, assimilé à la répression ou à la liberté, objet privilégié de toutes les ambivalences. Le pouvoir n’est pas du côté du nombre : une poignée d’hommes au pouvoir peut gouverner des multitudes. Le besoin de sécurité, de stabilité, d’amour, de directives sont de sûrs alliés du pouvoir, qui correspond à une attente et à une demande autant qu’il peut engendrer frustration, haine et révolte ». (page 221)

Toujours selon Eugène Enriquez, mais dans un autre ouvrage**, « Les entreprises s’adonnent à un jeu dangereux : celui du pouvoir et du désir ».

Il s’interroge : comment croire que l’entreprise n’est pas traversée comme tout groupe humain par des processus identificatoires, où les pulsions et les projections s’expriment ?

« L’imaginaire structure les sociétés humaines, nous apprennent les historiens. Le symbolique nous place dans des rapports médiatisés et forge notre identité, nous rappellent les psychanalystes et les sociologues. Le culturel nous fournit les valeurs qui orientent nos conduites, nous enseignent les ethnologues. L’imaginaire, le symbolique et le culturel scandent la vie de toutes les organisations. » (page 9)

Pour aller plus loin, je vous livre quelques extraits qui donnent à réflexion, tirés de l’ouvrage de Pierre-Olivier Monteil, philosophe, La fabrique des mondes communs, aux éditions Erès, 2023.

« Les racines étymologiques du mot « hiérarchie » : gouvernement des choses sacrées (de hieros, sacré, et archein, commander). Il se trouve que le grec a deux mots distincts pour le mot « agir » : archein, qui signifie initialement commencer, guider et seulement en un troisième sens commander ; et prattein, qui signifie d’abord traverser, aller jusqu’au bout, achever. En entreprise, l’affirmation progressive du principe hiérarchique prit du temps et des précautions (progressivement au cours du XIXe siècle au fil du développement de la concurrence des marchés). » page 183

« En entreprise, un pouvoir auquel il est possible de consentir est celui qui est reconnu comme légitime. Il n’a dès lors pas à recourir à la contrainte ou à la manipulation pour être crédible et obéi. On dit alors qu’il fait autorité. S’attache à lui une part de crédit, de confiance, qui comble l’écart entre un pouvoir simplement légal et un pouvoir reconnu. L’autorité se distingue du pouvoir en ce qu’elle propose – tandis que le pouvoir impose – car elle vise à transmettre quelque chose qu’elle a reçu. L’autorité révèle qu’on ne peut véritablement obéir que si on a la possibilité de s’y refuser. Dans la posture qui est la sienne, l’autorité n’est pas la propriété de celui qui agit, mais celle d’un simple détenteur qui transmet. » page 185

« L’autorité, c’est la faculté des commencements, comme le résume Myriam Revault d’Allonnes (Le Seuil, 2006). L’autorité s’attache à transmettre ce qui grandit. Il existe une hiérarchie entre ce qui rabaisse ou élève, entre ce qui fait régresser ou progresser, entre ce qui infantilise ou émancipe.

Ce que permet l’autorité, c’est d’accroître l’autonomie de l’interlocuteur. Lequel, dès lors, ne peut qu’y consentir et obéir. » page 187

« L’autorité ne saurait être auto-proclamée, car il n’est d’autorité que reconnue. »

Pierre-Olivier Monteil distingue le pouvoir vertical dissimulé par les dispositifs, et le pouvoir horizontal, invisible, de la coopération, définie comme le fait de travailler à plusieurs à une même chose (Franck Fischbach, Lux éditeur, 2015). page 201

Il insiste sur l’importance du management, indispensable pour se coordonner et faire face aux conflits internes en entreprise. « Supprimer la hiérarchie, c’est enlever l’intermédiaire régulateur » souligne Erhard Friedberg (Le Monde, 27 octobre 2015). page 239

« Il faut que l’individu – dirigeant, manager, collaborateur – soit susceptible de percevoir le sens de la hiérarchie au sein même d’une relation dans laquelle est présente une dimension égalitaire. L’autonomie permet de dialoguer et de coopérer, aussi bien entre pairs qu’en contexte hiérarchique. Elle rend capable de discerner de la supériorité dans les situations égalitaires, de l’égalité dans les situations hiérarchiques, et la coexistence d’identité et d’altérité dans toute relation intersubjective. » page 242

Selon Pierre-Olivier Monteil, il est possible de concevoir des modalités concrètes d’articulation entre pouvoir vertical et pouvoir horizontal qui participent d’un management se voulant le vecteur d’une pédagogie de l’autonomie. page 242

En résumé et pour avancer des propositions afin de faire évoluer le management en entreprise (page 261) :

  • Un pouvoir hiérarchique s’exerçant sans contrepoids ne tarde pas à dériver en « césarisme d’entreprise » : une pathologie de l’unanimité
  • Un pouvoir horizontal sans hiérarchie ne tarde pas à dériver en un régime de la loi du plus fort : une pathologie de la diversité, qui s’inverse en son contraire
  • Pour remédier à ces deux dérives, il est possible d’articuler pouvoir vertical et pouvoir horizontal, hiérarchie et coopération. Peuvent y contribuer la posture d’autorité, les espaces de discussion sur le travail, la remontée de propositions d’amélioration des règles …
  • Le préalable est de bien clarifier la différence entre qui distingue l’autonomie de l’indépendance.
  • La reconnaissance des deux pouvoirs a pour conséquence institutionnelle que les investisseurs en travail que sont les collaborateurs soient représentés au conseil d’administration au même titre que les apporteurs de capitaux que sont les actionnaires.
  • L’articulation entre les deux pouvoirs s’effectue par des médiations qui sont nécessairement fragiles, parce qu’elles doivent être flexibles pour remplir leur office. Mais la fragilité est aussi le remède au climat d’indifférence qui règne souvent dans le monde du travail. En effet, la fragilité en appelle à l’engagement des personnes, au-delà de leur fonction.

*Vocabulaire de psychosociologie, sous la direction de Jacqueline Barus-Michel, Eugène Enriquez et André Lévy, éditions Erès, 2013.

**Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, Eugène Enriquez, aux Editions Desclée de Brouwer, Collection Sociologie clinique, 1997.

A écouter, une interview de Michel Serres, qui m’a été suggérée sur LinkedIn par une personne qui a lu mon article, qu’elle en soit remerciée !

Qu’entend-on par accompagnement ?

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Maela Paul, docteur en Sciences de l’éducation, Université de Tours, à la bibliographie impressionnante, nous livre ses définitions de l’accompagnement (1).
Elle clarifie année après année au fil de ses recherches cette notion, la tâche étant ardue, du fait que l’accompagnement se construit à la frontière de logiques diverses : former, enseigner, aider, conseiller ou même gouverner.
Que met-on derrière ce mot, tant au devant de la scène aujourd’hui ?
L’accompagnement répond à une logique sociale et à une logique relationnelle. Au fondement de l’accompagnement : la relation, qui est première ; De la mise en relation dépend la mise en chemin et réciproquement. Il s’agit de viser la parité dans le dialogue, sans effacer la disparité des statuts, puisque l’accompagnement se joue dans un cadre professionnel. Le cheminement est de toujours tendre vers une émancipation par la personne de la situation dans laquelle elle se trouve.
Ses définitions  : l’accompagnement est un dispositif relationnel qui vise au travers d’un échange et d’un questionnement la compréhension d’une situation ou d’un projet. Il contribue à travers une pratique réflexive à inscrire autrui dans une réalité qui soit existentiellement et socialement viable pour lui ou elle et désirable par lui ou elle. La personne est reconnue dans sa triple identité : l’appartenance au genre humain, dans son statut de sujet-citoyen, et sa singularité d’être.
Ce qui est commun aux différentes formes d’accompagnement (coaching, mentoring, tutorat etc.) :
  • un dispositif relationnel,
  • des principes éthiques,
  • une démarche personnalisée,
  • une posture,
  • une perspective d’action,
  • un questionnement réflexif,
  • un cadrage institutionnel

Les principes éthiques auxquels doit se soumettre l’accompagnant : ne pas nuire, ne pas penser, dire et faire à la place de l’autre ; travailler dès le début à sa propre inutilité (ou effacement) ; ne pas savoir pour l’autre où il ou elle en est de sa situation.

A écouter, conversation avec Guy Amoureux, philosophe, coach et conseil, qui définit clairement le rôle du coach et son terrain d’intervention.

A lire également sur ce blog : coaching or not coaching.
Ce billet est ainsi l’occasion de vous faire part des contours de la philosophie d’accompagnement qui est la mienne, préalable pédagogique et éthique important à toute demande d’accompagnement. Pour en savoir plus, me contacter.
(1) Source : Table-tonde L’accompagnement, de la notion au concept, avec Maela Paul, Emmanuel Rusch, Pascal Galvani, animée par Frédérique Lerbet-Sereni et Guy de Villers.
Colloque international tenu à Tours du 26 au 28 mai 2016, télécharger les résumés.