#Episode 12 podcast avec Sandrine Brasero

Suite de la série de podcasts que j’ai initiée avec Mitrane Couppa, et un fil conducteur pouvant être décrit ainsi : découvrir des histoires singulières, des parcours de vie et des conquêtes. Conquête d’indépendance, de liberté, d’identité.

Avec une question fondamentale : comment changer, se transformer, évoluer et / ou s’accepter en restant fidèle à soi (ses valeurs, son héritage, ses loyautés) ?

Retrouver la série complète ici.

Consultante en management et fondatrice de Promot-HER, Sandrine Brasero accompagne les dirigeants et les leaders dans les organisations à réussir leur transition managériale, développer leur leadership et leur politique d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Nous avons pris le temps avec Sandrine d’évoquer, à travers son histoire, ses représentations du leadership, et la genèse de la création de Promot-Her, collectif d’indépendants intervenant pour l’égalité professionnelle au sein des organisations.

Les lectures/vidéos/podcasts qui font réfléchir, et passer à l’action ?

Hommage à Georgia O’Keeffe

En cette fin d’année, pendant les vacances qui vous permettent, je l’espère, de prendre du temps pour vous, voici une sélection toute personnelle et subjective de lectures, vidéos ou podcasts qui m’ont intéressée et enrichie. Un grand merci à leurs autrices.auteurs ! Que je vous transmets à mon tour, comme un passage de relais bénéfique et bienveillant.

Un concept à la loupe : les blessures de l’âme

On les dit au nombre de cinq. Elles sont réputées freiner notre accès à un être-soi plein, entier et épanouissant. Pourtant, nous en porterions tou·te·s au moins deux. Mais quelles sont ces « blessures de l’âme » ? Comment les panser ? Et d’ailleurs, faut-il absolument se combler ces fissures ou bien l’enjeu est-il plutôt de mieux les conscientiser, d’apprendre à vivre avec… En tombant les masques !

C’est à cela que nous invite la coach canadienne Lise Bourbeau, héritière de l’école de l’analyse bioénergétique avec son best-seller Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même, paru en 2000. L’ouvrage identifie 5 blessures de l’âme :

  • Trahison,
  • Rejet,
  • Abandon,
  • Humiliation,
  • Injustice

Les paradoxes du coaching en entreprise

Engagée par la sociologue Scarlett Salman durant les années 2000 auprès de coachs, de directeurs de ressources humaines et de cadres, une enquête au long cours décrypte les multiples facettes du coaching, une pratique très prisée des grandes entreprises et révélatrice des mutations contemporaines du capitalisme.

“Bien qu’ils mobilisent des techniques psychologiques, les coachs ont toujours cherché à se démarquer de la figure du « psy », associée au mal-être, à la souffrance, à la pathologie. Leurs prestations, n’ont-ils de cesse de répéter, s’adressent aux « normaux » et même aux « champions ». Se voir prescrire un coaching ne doit pas être perçu par les cadres comme un signe de faiblesse ou de difficulté.” 

A découvrir ici :

https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-paradoxes-du-coaching-en-entreprise

“Ethique de la pratique ordinaire” : le poids des normes au travail

Dans son dernier ouvrage, le philosophe Pierre-Olivier Monteil analyse l’excès de règles et de procédures en entreprise, et leur capacité à démoraliser les salariés.

Le livre. A quoi tient ce sentiment, si répandu aujourd’hui, d’une brutalisation croissante des rapports sociaux ? D’où provient le constat désabusé de ne pas parvenir à donner priorité à ce que nous tenons pour important et de céder sans cesse à des contraintes secondaires, voire dérisoires ? Dans Ethique de la pratique ordinaire (Pocket), Pierre-Olivier Monteil souligne la nécessité de personnaliser les relations dans le travail comme dans la vie courante. Il donne des conseils aux manageurs et aux collaborateurs d’entreprise en quête d’efficacité comme de sens.

« L’ouvrage invite le management à se montrer plus courageux, en laissant davantage de liberté à l’équipe, au lieu de s’échiner à lui dicter son travail. Imposer de l’extérieur le sens de l’activité en se focalisant sur les motivations extrinsèques comme le salaire, la carrière, le pouvoir ou le prestige attaché à la tâche, c’est ne pas prendre en compte les motivations intrinsèques que procure l’activité en elle-même et qui passent par l’éthique et les valeurs, la solidarité et la confiance, l’autonomie et la créativité. »

A découvrir ici :

https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/12/09/ethique-de-la-pratique-ordinaire-le-poids-des-normes-au-travail_6105282_1698637.html

L’arbre à palabres de Shynlei : rencontres avec l’altérité, témoignages et inspirations

“Rendre visibles et cohérents mon histoire de vie, ce qui est mon talent et ce que je recherche pour mon bien-être, celui des autres, voire celui du monde ” ; “Un rêve, ça se concrétise” ; “Qu’est-ce qui va me rendre heureuse ?” ; “Un rêve, c’est un désir”

A découvrir ici :

https://www.shynlei.com/blog

Santé et bien-être au travail, réalité ou utopie ?

Ou l’importance des compétences comportementales et psychologiques en entreprise

Réponse de Sylvie Bernard-Curie en vidéo

Ecouter les podcasts de Diane Seyrig, auteure de sens

Donner de la voix aux Auteurs de Sens d’ici et d’ailleurs, engagés dans l’éveil des consciences à travers leur contribution authentique au monde. Le réveil du corps et de l’âme, la réconciliation de nos polarités intérieures et extérieures. L’être Soi, humblement, singulièrement et complètement, comme outil de partage, de reliance et de (re)connexion, de transformation aussi. Participer à la création d’un futur plus souhaitable, plus harmonieux, plus vibrant et vivant, dans lequel ÊTRE serait la seule chose à faire vraiment, la plus urgente et la plus importante.

A découvrir ici :

https://www.auteurdesens.com/podcast

Le syndrome de l’imposteur

60 à 70 % des personnes douteraient, à un moment ou à un autre de leur carrière, de la réalité ou de la légitimité de leurs succès. L’étude IMS conduite par Patrick Scharnitzky et Inès Dauvergne montre un écart femme/homme inférieur à un point pour ce qui concerne la confiance en ses capacités professionnelles.

Le terme a été inventé par les psychologues cliniques Pauline Rose Clance et Suzanne A. Imes en 1978. Les personnes atteintes du syndrome de l’imposteur, appelé aussi syndrome de l’autodidacte, expriment une forme de doute maladif qui consiste essentiellement à nier la propriété de tout accomplissement personnel. Ces personnes rejettent donc plus ou moins systématiquement le mérite lié à leur travail et attribuent le succès de leurs entreprises à des éléments qui leur sont extérieurs (la chance, un travail acharné, leurs relations, des circonstances particulières). Elles se perçoivent souvent comme des dupeurs-nés qui abusent leurs collègues, leurs amis, leurs supérieurs et s’attendent à être démasquées d’un jour à l’autre.

Qu’est-ce que l’empathie ?

Explication courte, incarnée, et qui plus est, accessible, par Sylvie Bernard-Curie :

https://www.linkedin.com/posts/good-vibes-magazine_goodvibes-empathie-aezmotions-activity-6714906764875198464-FqcQ/

Mixité : on avance

Et sortie du livre Remixer la mixité, aux Editions Eyrolles, 2021, suite de l’ouvrage Mixité : lorsque les hommes s’engagent (Editions Eyrolles, 2015), auquel a contribué notamment Marie Donzel. Les 24 experts réunis pour cet ouvrage ont voulu clarifier ce qu’est désormais cette nouvelle donne femmes-hommes dans la société (à la maison, dans les médias, chez les supporters, avec #MeToo) et au sein de l’entreprise. Ils proposent des solutions adaptées à ce nouveau contexte sociétal pour « remixer » le sujet de la mixité femmes-hommes dans les organisations et accélérer véritablement sa progression.

Identité et corps

Selon André Comte-Sponville dans son Dictionnaire des philosophies (1), “l’identité est le fait d’être soi et de le rester, donc de demeurer un et le même, malgré les changements innombrables qui nous traversent ou nous constituent. Montaigne ne trouvait en lui rien de stable ni de constant. Aussi refusait-il au moi le statut d’être. Toutefois, le corps et la mémoire résistent, qui demeurent (puisqu’ils ne cessent de changer) et nous donnent le sentiment de notre propre persistance, au moins un temps : celui du souvenir et du vieillissement. Mieux vaudrait, en ce sens, parler de continuité que d’identité. Rester identique à soi ? Nul ne le peut absolument. Mais comment pourrais-je changer sans continuer d’être ? Vivre, ce n’est pas rester un et le même ; c’est persévérer dans son être multiple et changeant.”

La série de podcasts que j’ai initiée, Mine de rien, s’attache justement à incarner ces questionnements avec des témoignages d’invitées qui s’arrêtent le temps d’échanges informels sur ce qui constitue le permanent et l’impermanent dans leurs histoires de vie.

La lecture du dernier livre d’Edouard Louis, Changer : méthode (2), m’a saisie par la volonté féroce qu’a manifesté Eddy Bellegueule, devenu Edouard Louis, à transformer en profondeur son identité, allant jusqu’à modifier son prénom, son nom, son aspect corporel, ses manières, son accent, sa façon de parler, de se tenir à table, de manger, de se vêtir, de rire même ! Incroyable et méthodique transformation d’un homme déterminé à sortir de sa classe, de son milieu, de son habitus (3).

Le nom est le socle de l’identité : il indique de qui l’on naît et d’où l’on vient, il assigne une place sans qu’il y ait de possibilités, du moins en principe, d’y échapper. Le prénom est assigné par d’autres, il est subi d’une certaine façon, pourtant, il est un élément constitutif du sujet, de sa singularité. Le choix du prénom revêt une dimension sociale (effet de mode, influence des milieux sociaux). Le prénom est à la fois un héritage et un choix personnel de le conserver ou non, de se l’approprier, ou non.

Edouard Louis fait-il son histoire de vie, au sens où l’entend Gaston Pineau ? Pour l’enseignant-chercheur, “faire son histoire de vie, c’est s’émanciper des différents déterminismes, c’est s’appuyer sur son passé pour en décoller, et entrer dans les mouvements pleins de contradictions du devenir de façon motrice. Faire son histoire de vie est alors moins se souvenir qu’ad-venir.” (4)

Les passages de son livre que je vous recommande sont éloquents sur sa volonté de transformation et l’acuité de son regard de transfuge de classe, à l’instar d’Annie Ernaux : “Avec Elena, j’apprenais tous les jours un peu plus à connaître et à comprendre la personne que j’étais, et ce que j’avais constaté en arrivant au lycée s’est confirmé : je n’avais pas eu une enfance, mais une enfance de classe. Tous mes goûts, toutes mes pratiques, ce que je faisais, ce que je disais, mes opinions, tout était marqué par le passé. J’avais partout en moi ta présence et la présence de notre famille. Par où est-ce que je dois commencer ? C’est surtout pendant les repas que je ressentais la différence et la honte.”

Edouard Louis évoque aussi le théâtre comme “un instrument de réinvention de sa vie, parce que grâce au théâtre, il a été le premier dans sa famille à aller au lycée et parce que grâce au théâtre, il a appris qu’on pouvait jouer des rôles, c’est-à-dire produire un écart par rapport à sa vie, sa vie imposée, son passé, son histoire familiale, le théâtre lui a fait comprendre que s’il voulait être autre chose ou quelqu’un d’autre, peu importe, alors il fallait le jouer, jusqu’à le devenir, il a compris qu’il n’y avait rien d’autre que des rôles”.

J’ai apprécié sa franchise et son honnêteté lorsqu’il évoque la littérature et l’écriture : “Je veux être clair, pour moi l’enjeu était celui du changement et de la libération, pas celui des livres ou de la vocation littéraire. Je ne pense pas que mon obsession première ait été les livres. Si je rêvais soudainement de devenir un écrivain, ce n’était pas parce que rêvais d’écrire, mais parce que je rêvais de m’arracher définitivement au passé. Il ne faut pas voir dans ce que j’écris l’histoire de la naissance d’un écrivain mais celle de la naissance d’une liberté, de l’arrachement, coûte que coûte, à un passé détesté.”

Et voici comment il définit son programme pour y arriver : “Changer mon nom (aller au tribunal ?), changer mon visage, changer ma peau (tatouage ?). Lire (devenir quelqu’un d’autre, écrire). Changer mon corps. Changer mes habitudes. Changer ma vie (devenir quelqu’un). Je ne sais pas si c’est tout le monde, mais pour moi, quand le processus de ma transformation avait commencé, il était devenu un travail plus que conscient, une obsession permanente. Je voulais tout changer, et que tout dans le progrès de mon changement soit le résultat d’une décision. Je voulais que plus rien n’échappe à ma volonté.”

Jusqu’à ceci : “Après mes dents, j’ai changé mon prénom au tribunal, puis mon nom de famille. Je suis allé dans une clinique pour redessiner la ligne de mon implantation capillaire, je me suis habillé d’une manière autre, qui me paraissait mieux s’accorder à ma vie”.

Je reste sidérée à la lecture de ces lignes par cette volonté acharnée de changement, et de revanche : “Tout vivre c’était me venger de la place qui m’avait été assignée par le monde à la naissance”.

A lire aussi cet article sur Littérature et identité.

(1) Dictionnaire des philosophies. André Comte-Sponville. Ed. PUF, 2001.

(2) Changer : méthode. Edouard Louis. Ed. Seuil, 2021.

(3) Habitus : manière d’être d’un individu, liée à un groupe social et se manifestant dans son apparence physique (vêtements, maintien…). L’habitus désigne un système de préférences, un style de vie particulier à chacun. … Dans Esquisse d’une théorie de la pratique (1972), Pierre Bourdieu définit l’habitus comme étant « une loi immanente, déposée en chaque agent par la prime éducation ».

(4) Les histoires de vie. Gaston Pineau. Ed. PUF, 2002.

La relation

J’ai eu envie d’écrire ce texte sur la relation, car j’ai été frappée par cette idée que la relation nous change, et que la rencontre nous modifie. C’est ce que je vis dans les rencontres avec les invitées de mes podcasts que je remercie encore infiniment pour leur confiance ! Et bien sûr aussi dans les accompagnements que j’ai la chance de mener. La coach se transforme avec son ou sa cliente.

J’aime le double sens du mot : la relation, c’est le lien, la correspondance, mais c’est également le fait de relater, avec le récit et la narration, que j’évoque si souvent sur mon site.

Voici ce que dit Charles Pépin de la relation * : “Contrairement aux animaux, même à ceux qui vivent en groupe comme les loups ou les oiseaux migrateurs, l’humain ne développe sa singularité, donc ne devient lui-même, qu’au fil de ses rencontres. C’est un besoin non pas naturel comme celui de manger ou de boire, mais civilisationnel. La rencontre, qu’elle soit amoureuse, amicale, professionnelle, spirituelle, artistique, est le cœur de l’existence humaine.”

Comment faire du hasard son allié ? “En se mettant en action. Commencer par sortir de chez soi… pour mieux sortir de soi, et de ses rails identitaires. La rencontre suppose de se rendre disponible à ce que l’on ne cherchait pas.”

Manon Garcia, philosophe, complète : “Dans toutes les interactions humaines, on négocie sans cesse les limites de la forme que peut prendre la relation, on ne cesse de modifier son attitude en fonction de ce que l’on donne et reçoit de l’autre.”**

Cela me fait penser à Delphine Horvilleur, dont j’ai repris certains propos qui m’inspirent dans cet article : “Surtout ne demande pas ton chemin, tu risquerais de ne pas te perdre”.

Charles Pépin poursuit : “La vraie rencontre implique le trouble ; elle peut donc faire peur. Aujourd’hui, je dis et ce n’est pas anodin : je ne peux devenir moi-même qu’à la condition d’aller à la rencontre de l’inconnu, des autres cultures, y compris celles qui nous inquiètent ou nous effraient. L’altérité, c’est dérangeant.”

Une fois encore, Charles Pépin rejoint les penseurs de la sociologie clinique : “L’essentiel s’applique à tout le monde : pour devenir soi-même, il faut sortir de là où l’on est. Trouver ce que, chacun, nous allons pouvoir inventer avec notre héritage. Les rencontres ne sont pas seulement humaines : on peut rencontrer des films, des artistes, des pays, des idées … Quand j’étais adolescent, j’ai rencontré L’étranger de Camus.”

Charles Pépin explique dans cette interview de Télérama qu’il a vécu dans une sorte de balancement identitaire, tout comme Delphine Horvilleur ou Rachel Kahn, dont on a beaucoup entendu parler ces derniers mois, avec la sortie de son livre Racée.

Rachel Kahn va dans le même sens sur France culture : l’identité est en construction permanente, fluide, elle ne peut pas rester figée. Elle évoque Edouard Glissant, et sa lutte contre les enfermements identitaires. Céleste Brunnquell, cette jeune actrice dont je découvre la profondeur et le goût de la littérature dans l’émission Une journée particulière, parle joliment du livre Les années d’Annie Ernaux : “nous sommes multiples, nous déposons dans les lieux que nous traversons qui nous avons été, et que nous ne sommes plus, notre identité est fluide” (encore…).

Pierre Lemarquis*, neurologue, atteste lui aussi que la relation nous modifie : “A chaque rencontre que nous faisons, du moins si elle revêt pour nous une signification, le cerveau se sculpte au contact d’autrui. Nos existences, nos lignes de vie, se construisent ainsi par porosité, à la lisière du moi (l’intérieur) et de l’autre (l’extérieur). Par ses impacts répétés, l’extérieur vient remodeler en permanence notre intériorité”. Le neuroscientifique Albert Moukheiber* spécifie ainsi : “Nous faisons partie des rares animaux capables, au sein de leur espèce, de se regarder les yeux dans les yeux. La plupart des autres, par exemple les loups, ne le peuvent, car ce contact oculaire induit aussitôt l’activation d’un rapport de domination entre eux. Sapiens, lui, est en mesure de se servir de ses yeux pour exprimer au contraire toute la palette de sa cognition sociale”. Laquelle est son seul et unique atout. “Cette cognition sociale permet de collaborer, au besoin par centaines, par milliers !”.

Notre grande force : une extrême plasticité cérébrale, qui nous permet de nous transformer, aux contacts des autres, vitaux pour notre développement, mais aussi de la nature, des animaux, ou de l’art sous toutes ses formes.

*Télérama 3734-3735

**Télérama 3746

#Episode 11 podcast avec Diane Seyrig

Suite de la série de podcasts que j’ai initiée avec Mitrane Couppa, et un fil conducteur pouvant être décrit ainsi : découvrir des histoires singulières, des parcours de vie et des conquêtes. Conquête d’indépendance, de liberté, d’identité.

Avec une question fondamentale : comment changer, se transformer, évoluer et / ou s’accepter en restant fidèle à soi (ses valeurs, son héritage, ses loyautés) ?

Retrouver la série complète ici.

Diane Seyrig se définit d’abord par son patronyme et son prénom, Diane la chasseresse, Diane la lumineuse : vous percevrez en l’écoutant la lumière qui émane de sa personne. Diane fait oeuvre à travers les mots, qui sont son outil de travail : auteur(e) de sens. Elle anime également des ateliers d’écriture auxquels j’ai eu la joie de participer. Nous nous sommes retrouvées autour du genre féminin, de l’écriture et d’un désir commun d’apprentissage permanent, de découverte de soi, et d’émancipation. Bon voyage dans le monde de Diane !

Littérature et identité

La littérature fourmille de référence aux histoires de vie et à la sociologie clinique. Au fil de mes lectures, j’ai noté ces extraits qui m’inspirent sur la notion d’identité. Les écrivains apportent leur pierre à l’édifice de cette élaboration sans fin autour de l’identité. Ils l’incarnent, la rendent réelle, par leur imaginaire.

Quoi de mieux que de découvrir des histoires de vies dans leur complexité, leurs contradictions, leurs névroses, leurs loyautés, leur beauté, sous la plume de romanciers ou biographes ?

Je vous invite à la découverte de ces auteures qui m’ont intriguée, bouleversée, charmée par leur humanité et leur conquête d’indépendance.

Connaissez-vous la femme au cerveau érotique ? C’est Gabriële Buffet, jeune femme de 27 ans, indépendante, musicienne, féministe, qui rencontre Francis Picabia en septembre 1908. Elle devient son inspiratrice, sa théoricienne, comme elle le fut aussi pour Marcel Duchamp et Guillaume Appolinaire. Anne et Claire Berest racontent son histoire, et rendent hommage à leur mère, Lélia, petite-fille des Picabia (Le livre de Poche, Editions Stock, 2021, Gabriële).

“Cela commence dans les rêves. Puis, des images qui surviennent, même en plein jour, sans qu’elle s’y attende. Comme toutes les femmes enceintes pour la première fois, Gabriële se mange son enfance en pleine figure. Attendre un enfant oblige à interrompre l’enfant qu’on a soi-même été. Pour l’éloigner une bonne fois pour toutes. Faire place nette à celui qui arrive. (…) Elle est née le 21 novembre 1881, année palindrome, à 9 heures du soir. Son acte de naissance témoigne de cette écriture surannée, typique de l’administration de la fin du XIXe siècle. (…) Joli sérieux : voilà contre quoi va se battre toute une génération en train de pousser ses premiers cris. Picasso, qui naît la même année, Picabia, qui a déjà trois ans, Guillaume Appollinaire, qui n’a que quelques mois, mais aussi les petits frères, Marcel Duchamp, Arthur Cravan, Tristan Tzara et tous les autres. Ils sont du siècle à venir – et avec eux, le bon goût, c’est bientôt terminé. La nouvelle-née se prénomme “Madeleine Françoise Marie Gabriële”. Le quatrième prénom, relégué en bout de liste, est orthographié de façon étonnante : un tréma et un seul l avant le e final. Gabriële. Cela plait beaucoup à la petite fille, qui trouve ce prénom androgyne bien plus adapté que Marie et Madeleine. Alors elle se rebaptise, toute seule. Et demande à ses parents qu’on l’appelle désormais de ce singulier prénom. L’astringent goût du bizarre se pose déjà sur les lèvres de l’enfant, et toute sa vie elle signera de ce prénom, mais en variant les écritures, Gabriële, Gabrièle ou Gabrielle. Elle ne se soumettra à aucune loi, pas même celle de l’orthographe.”

Autre époque, autre pays … Gaëlle Josse (j’ai tant aimé Le dernier gardien d’Ellis Island) écrit son choix de consacrer ce roman Une femme en contre-jour (Les Editions Noir sur Blanc, Notabilia, 2019) à Vivian Maier : “Il me faut dire combien je me sens proche de l’oeuvre de Vivian Maier, dans une inépuisable quête de visages, du moment qui dit toute une vie, dans sa recherche des lignes, lumières et reflets saisis dans le bouillonnement, la fébrilité de la ville, attachés au grand manège des jours”. “Tant de fils se mêlent, s’enlacent avec ce que je suis, avec ce que je tente d’approcher par l’écriture. Ni peser, ni imposer mon “moi”. Qu’il nourrisse mon écriture, sans cannibaliser ce que j’essaie d’apprivoiser. Qu’il soit terreau, humus, et non fleur carnivore.”

“Qui était donc cette femme libre, audacieuse, insatiable du spectacle de la vie et qui en fit oeuvre à la fois humble et magistrale ? Une sensibilité exacerbée, une insondable solitude protégées, dissimulées derrière des façons abruptes, derrière une bizarrerie assumée et de trop larges vêtements. La force de dépasser un enfermement programmé dans une condition sociale de domestique et dans une histoire familiale emplie d’effroi. Son regard prodigue a multiplié les miracles nés d’une exceptionnelle, d’une troublante empathie envers l’univers des exclus, des laissés-pour-compte, de ceux qui ne possèdent rien, à peine leur propre vie. Elle leur a offert son seul bien, son trésor : le regard.”

“Vivian Maier trouve là le centre de sa vie, le sens de sa vie. Elle sait ce qu’elle veut. Ce sont les prémices d’une oeuvre d’une grand unité, traversée d’obsessions, comme celle de tous les grands artistes. Rien de hasardeux, de décousu. (…) Il lui reste à poursuivre ce travail pendant des décennies. Un travail dont personne ne verra les fruits, dont on ne soupçonnera pas même l’existence, et dont elle-même ne verra que bien peu de choses.”

“Son travail photographique accorde une large place aux femmes âgées. On ne photographie rien au hasard. Un artiste poursuit ce qui le hante, l’obsède, le traverse, le déchire. Rien d’autre.”

“Un mot en appelle un autre, celui de la révélation, au sens photographique du terme. Si peu de ses photos se verront révélées… Impossible de ne pas penser aux mensonges de sa mère concernant son identité, et aux avatars successifs du nom de Maier. Von meyer, Meyer, Mayer, Meier … Les noms semblent flotter sur les membres de cette famille et se poser un peu au hasard du temps. Ouverture sur le monde et obsession du secret, deux mouvements contradictoires, deux extrêmes d’un balancier. Singulier mouvement binaire, singulière alternance.”

Après ces extraits issus de la littérature, arrêtons-nous sur quelques repères théoriques, qui permettent de les lire avec un autre regard.

Loin de moi, étude sur l’identité par Clément Rosset (Les Editions de Minuit, 1999) “Dans les premières années de son existence, l’enfant serait incapable de se constituer une personnalité s’il ne prenait modèle sur un être (généralement parental) dont il imite le comportement et qui lui sert, dans tous les sens du terme, de “tuteur” ; faute de quoi aucune de ses multiples tendances ne réussirait à se fondre dans l’unité d’une personne et à constituer la structure d’un moi, même si ce moi est à l’origine copié sur celui d’un autre. Copiez, et si en copiant vous restez vous-même, c’est que vous avez quelque chose à dire, tel est le conseil qu’aurait donné Ravel à ses rares élèves.”

Définition de “même” dans le Littré : “Qui est comme une autre chose ou comme soi-même ; qui n’est pas autre, qui n’est pas différent”. “On comprend facilement ce qu’il faut être pour être comme telle ou telle autre chose : il faut lui ressembler ou l’imiter. Mais que faut-il être pour être comme soi-même ? Ainsi cette explication de Littré fait de “même” le synonyme de “semblable”. Elle ne retient donc que l’une des significations du mot, celle de la ressemblance, laissant de côté celle de l’identité proprement dite. Ricoeur est allé chercher le vieux substantif “mêmeté” (forgé par Voltaire) pour former un couple conceptuel permettant d’opposer les deux façons d’être même que quelque chose : être semblable à autre chose, être soi-même. A ces deux significations de l’identité s’opposent selon lui deux formes d’altérité : celle qui consiste à différer d’autre chose (que ce soit par le genre, par l’espèce, par les qualités ou par la différence numérique) et celle qui consiste dans un “ne pas être soi” (aliénation, dépossession de soi, dispersion). Vincent Descombes, Même/Autre, L’identité, dictionnaire encyclopédique, Edition Folio essais, 2020.

Le nom et le prénom sont des éléments concrets et stables par lesquels l’identité s’exprime : ce sont des “porte-identités” (Goffman, 1963). A cet égard, l’utilisation de noms personnels pour désigner des individus se retrouve dans toutes les sociétés connues. Mais si la nomination est un universel culturel, les formes qu’elle prend n’en sont pas moins variées. Il existe un “lien indissoluble entre le nom et l’image de soi (self-image)” : Strauss, 1959. A minima, je me présente sous mon prénom et mon nom, qui m’accompagneront toute la vie (surtout si je suis un homme). Claude Lévi-Strauss (1962) : “On ne nomme jamais, on classe”. Baptiste Coulmont, Nom/Prénom, L’identité, dictionnaire encyclopédique, Edition Folio essais, 2020.

Nancy Houston ajoute dans son livre Bad girl (Actes Sud, 2014) : “Le soi est une donne chromosomique sur laquelle sont accrochées des fictions”.

Nancy Houston, d’origine canadienne anglophone, venue s’installer en France dans les années 70, par provocation dit-elle, écrivant en Français (je suis tellement admirative que je ne résiste pas au plaisir de vous partager des extraits de l’un de ses nombreux ouvrages), nous raconte depuis des décennies des histoires de vies qui me touchent profondément, dans lesquelles je me reconnais, qu’elles se passent dans le Berry, aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne, au Cambodge, en Israël, ou ailleurs, aujourd’hui ou hier, son imagination sensible est infinie.

La notion de roman familial est omniprésente dans son oeuvre : “Les gens te demanderont souvent pourquoi la famille est ton thème romanesque de prédilection, et tu les regarderas perplexe. Y en a-t-il d’autres ? Y a t-il quelque chose d’intéressant chez les humains, hormis le fait que, pour de bonnes ou mauvaises raisons, intensifiées par des pulsions animales aussi inconscientes qu’irrésistibles, ils copulent, font des enfants, s’efforcent de donner à ceux-ci une éducation meilleure que celle qu’ils ont reçue, échouent, vieillissent et meurent après avoir regardé leurs enfants grandir et partir trouver leurs propres partenaires et démarrer leur propre famille comme s’ils allaient refaire le monde à neuf, tout cela sur fond de grincement de dents, de tourmentes politiques, de conflits religieux, de rivalités fraternelles, de scènes d’inceste et de viol et de meurtre et de guerre et de prostitution, émaillé çà et là par un pique-nique familial dans une foire agricole ? De quoi d’autre un roman pourrait-il bien parler ?”.

“Depuis les origines du roman occidental, mais surtout depuis le siècle des Lumières et l’individualisme par lui promu au rang de valeur absolue, l’artiste est lui-même devenu héros. Les ressemblances sont frappantes : si l’on se penche sur un quelconque échantillon de biographies d’écrivains, on s’aperçoit vite que, tout comme Oedipe, Hamlet ou Antigone, ils ont pour ainsi dire tous vécu une anomalie, une catastrophe, une perte dévastatrice dans la jeunesse. Un père est mort. Une mère est morte. Les deux sont morts. Ou séparés. Ou radicalement absents. En d’autres termes, le roman familial de ces individus est toujours-déjà hautement romanesque. Il se prête à merveille aux spéculations, aux fantasmes, aux révisions et aux ratures… en un mot, à l’écriture. Le mythe est né. Le héros-écrivain pourra puiser à l’infini dans son enfance, tel Homère dans le fonds mythologique grec, réécrivant son histoire à travers mille transpositions, projections, déplacements et symboles”.

A écouter, cet entretien avec Leïla Slimani qui me touche tant, sur le roman familial, le roman national, à travers ses propos sur l’écriture, la fiction, l’identité, les transfuges de classe, la honte sociale, les thèmes qui me sont chers : “nous ne sommes pas la culture, c’est nous qui façonnons la culture que nous voulons”.

Dans cet entretien sur France Culture avec Héloïse Lhérété (journaliste) et Edwige Chirouter (maître de conférences en sciences de l’éducation), dédié à la littérature et comment elle peut construire nos imaginaires, Nancy Houston est citée plusieurs fois et son oeuvre L’espère fabulatrice tient lieu de référence.

#Episode 10 podcast avec Frédérique Clavel

Suite de la série de podcasts que j’ai initiée avec Mitrane Couppa, et un fil conducteur pouvant être décrit ainsi : découvrir des histoires singulières, des parcours de vie et des conquêtes. Conquête d’indépendance, de liberté, d’identité.

Avec une question fondamentale : comment changer, se transformer, évoluer et / ou s’accepter en restant fidèle à soi (ses valeurs, son héritage, ses loyautés) ?

Retrouver la série complète ici.

Entrepreneuse depuis une vingtaine d’années, à l’initiative du réseau Les Pionnières devenu les Premières, administratrice de la France s’engage, Frédérique Clavel a créé Fincoach le groupe, acteur de connexions entre indépendants, start-ups et entreprises. L’actualité de Frédérique, notamment, car elle fourmille d’idées et de projets : la nouvelle saison du concours “Entrepreneur, entrepreneuse, pourquoi pas moi ?” qui permettra de sélectionner puis accompagner les porteurs de projet grâce à une équipe de choc ! Je vous propose de découvrir ici l’énergie, la générosité et le leadership de Frédérique.

#Episode 9 podcast avec Josette Kalifa

9ème épisode de la série de podcasts que j’ai initiée avec Mitrane Couppa, et un fil conducteur pouvant être décrit ainsi : découvrir des histoires singulières, des parcours de vie et des conquêtes. Conquête d’indépendance, de liberté, d’identité.

Avec une question fondamentale : comment changer, se transformer, évoluer et / ou s’accepter en restant fidèle à soi (ses valeurs, son héritage, ses loyautés) ?

Retrouver la série complète ici.

Josette Kalifa, coach vocale, auteure, conférencière sur la résilience et la force du pardon, nous annonce la parution en 2021 de son livre “La réparation” après la pièce de théâtre “Loin du ciel”. Dans ses conférences, Josette propose à chacune, à chacun de trouver en elle, en lui les clés pour atteindre le bonheur que procure la paix du coeur et poursuivre son chemin libéré des souffrances du passé. Ecoutez les mots, la voix de Josette dans ce podcast que je suis heureuse d’avoir enregistré en sa compagnie. Josette nous raconte son histoire familiale, ses choix et ses renoncements, son parcours de vie, et comment la voix a été source de sa (re) naissance. Vous pouvez assister à ses conférences et ses ateliers en s’inscrivant sur son site.

Bienveillance et confiance

two person riding boat on body of water
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Le mot de “bienveillance” a perdu de sa force, il est repris à tort et à travers, il suscite même la méfiance, car il masque parfois un certain manque de courage. J’ai tenu à aborder cette notion aujourd’hui, car je l’ai souvent entendue comme qualificatif de mon style d’accompagnement, que ce soit en coaching ou en mentoring. C’est un compliment me direz-vous, une reconnaissance, et pourtant il sonne étrangement à mes oreilles … J’ai du mal à le prendre au sérieux. J’ai donc voulu aller y voir plus profondément.

Pour ce faire, je me suis appuyée sur une conférence donnée par Olivier Truong, que je remercie : j’ai pu lire son ouvrage intitulé “La bienveillance en entreprise”, utopie ou réalité ?” aux Editions Eyrolles, 2017, écrit avec Paul-Marie Chavanne. Je vous le recommande, il permet de mieux cerner en quoi la bienveillance n’est pas si facile à pratiquer, à recevoir, à installer dans une culture d’entreprise. Elle amène à s’intéresser au management, aux organisations en entreprise, aux besoins humains fondamentaux, à l’identité et à la confiance.

Première étape : la définition. “La bienveillance, c’est davantage que la gentillesse et l’attention portée à l’autre. Elle est une forme de volonté permanente que chacun puisse se réaliser, prendre des initiatives, trouver une voie pour rencontrer son destin, développer son potentiel et devenir soi ” (page 15). Tout un programme.

Une attitude bienveillante est une attitude qui privilégie volontairement le positif sur le négatif, les potentiels sur les manques, dans le plus grand respect des personnes.

Etre bienveillant ne signifie pas pour autant être conciliant en toutes occasions, voire même tolérant. L’excès de conciliation et de tolérance conduit à une forme d’indifférence, qui est à l’opposé de la bienveillance (page 16).

La bienveillance est-elle possible en entreprise ? Le livre de Paul-Marie Chavanne et Olivier Truong s’attache à y répondre. Leur souhait ? Que leur ouvrage fasse émerger une prise de conscience collective : nous sommes toutes.tous acteurs de bienveillance et nous pouvons toutes.tous participer même modestement à l’émergence d’un monde meilleur.

De nombreuses études ont montré que la bienveillance crée un environnement favorable à la motivation individuelle, à l’engagement, et au final au fonctionnement des petits groupes. Elles n’ont pas (encore) réussi à démontrer qu’elle est source de création de valeur pour les entreprises. Pour quelle raison selon les auteurs ? Parce que la performance d’une organisation est le résultat d’une multitude de causes, que “l’on ne peut réduire à la seule dimension du leadership, des relations humaines ou de la considération de la personne” (page 17).

A contrario, dans les petites équipes, le sentiment de sécurité, de lien social, de protection réciproque, de joie et d’expérimentation amène un engagement fort dans le travail.

Selon les auteurs, les managers ont un rôle essentiel à jouer pour que chacun trouve sa place et se sente utile, en étant conscients des besoins fondamentaux de leurs collaborateurs, et de leurs propres besoins pour être au clair avec leur mission : “la peur d’être mangé, la peur d’être abandonné, le besoin d’être aimé, le désir d’être reconnu comme unique, le désir de sens.”

Arrêtons-nous sur le sens, par lequel je travaille en tant qu’accompagnatrice Shynlei. En page 63, il est fait référence à Viktor Frankl, psychiatre et philosophe autrichien, né en 1905, mort en 1997, et à l’origine de la logothérapie : l’humain doit rechercher le sens profond de son existence, car le logos (la parole en grec ancien) est un vrai moteur qui donne goût à la vie. Déporté dans un camp de concentration en 1942 avec sa famille, il a constaté que les personnes les plus résistantes sont celles qui ont réussi à développer une vie intérieure propice à garder l’espoir et à questionner le sens des événements et l’absurdité dans laquelle ils se trouvaient. Au-delà des frustrations et des complexes des patients qu’il a ensuite soignés, leur vide existentiel expliquait en grande partie leurs névroses. La quête spirituelle est au coeur de la démarche de Frankl.

A la recherche de l’entreprise bienveillante

Aucune organisation ne garantit en soi la culture de la bienveillance, mais certains principes la favorisent plus que d’autres : la subsidiarité (le principe selon lequel il ne faut jamais faire remonter au niveau supérieur une décision qui peut être prise au niveau inférieur) et la responsabilité (le respect des compétences et de la capacité de jugement, l’identification des personnes en charge), la clarté des territoires d’action et la gestion de l’émulation collective.

Bienveillance, confiance et identité

Selon le Pr. Bernard Ramanantsoa, directeur honoraire d’HEC Paris et auteur d’Apprendre et oser, de nombreux auteurs ont montré que la bienveillance était un des trois piliers de la confiance (page 134). Dans une approche plus générale, Paul Ricoeur va plus loin, considérant que la bienveillance se caractérise par un dépassement de la réciprocité et de la règle : “la sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle” (Ricoeur P. Soi-même comme un autre, Seuil, 1990). “On peut proposer avec Paul Ricoeur une articulation entre bienveillance et pouvoir. Dans toute entreprise, il existe une structure hiérarchique, et c’est à ceux qui exercent le pouvoir de construire le système qui permettra la bienveillance et la confiance. C’est ici que nous sera utile le concept d’identité narrative. Les organisations, les entreprises ont une identité. Celle-ci n’est pas, comme le prétend la vulgate managériale, un simple empilement de valeurs plus ou moins partagées. Sa nature est celle d’un récit, dont les épisodes sont fournis par l’action quotidienne réelle et par ce que les dirigeants en disent pour lui donner une cohérence, une spécificité et une continuité temporelle. Le réel étant toujours plus riche et contradictoire que le discours que l’on tient sur lui, le leader devra sans cesse reformuler la narration pour la réinterpréter. Cette narration élaborée et dite par celui qui a le pouvoir se doit d’avoir une dimension essentielle pour notre propos : l’altérité, aurait dit Ricoeur, c’est-à-dire le souci de l’autre, la bienveillance. Pour dire l’identité collective, elle doit en effet répondre à la question suivante : qui sommes-nous collectivement ?

Cette narration sur l’identité collective est indispensable, mais si l’on revient à la question de départ – la bienveillance – la réponse tient en deux dimensions : il faut d’abord que le leader réussisse à être le garant de sa propre action. C’est là son défi : comment être à la fois le narrateur de l’identité collective rêvée, celui qui détient le pouvoir, et celui qui garantit équité et justice, bienveillance, dans le réel de l’action ? Comment convaincre qu’on n’abusera pas de sa position en étant juge et partie ? Il faut pour cela qu’il parvienne à construire une reconnaissance mutuelle par un processus de don/contre-don. Il faut qu’il reconnaisse fondamentalement les droits et les capacités de ceux qu’il dirige. Il a certes la capacité d’agir et de dire l’identité collective, mais cette distinction le lie aux autres. Il doit apparaître, au-delà des mots, comme étant au service de quelque chose qui le dépasse et s’impose à lui comme aux autres.

Peut-être peut-on essayer de synthétiser cette réflexion sur le lien entre bienveillance et pouvoir en revenant à Paul Ricoeur : la règle d’or serait sans cesse tirée dans le sens d’une maxime utilitaire dont la formule serait “je donne pour que tu donnes”. La règle : “donne parce qu’il t’a été donné”, corrige le “afin que” de la maxime utilitaire et sauve la règle d’or d’une interprétation perverse, toujours possible (Ricoeur P. Amour et Justice, Seuil, 2008).” (page 136)

“Manager dans l’incertitude”

Interrogez votre posture managériale par le mouvement corporel

Les managers sont les pivots de l’activité de l’entreprise : ils sont ceux qui organisent et animent le travail des équipes. Ceux, aussi, dont les prises de décision et les postures ont un impact démultiplié. Les managers constituent donc un point clé dans la chaîne du changement pour toute entreprise.

Ils vivent parfois des situations d’inconfort ou d’incertitude dans leur propre entreprise, et dans des contextes eux-mêmes en mouvement permanent. Il leur est demandé d’expliquer le changement, de lui donner un sens, de fixer les objectifs et le cap, de donner les moyens aux équipes de réussir, de les motiver, d’évaluer les résultats. Y compris lorsque leurs propres repères changent. Et quels que soient leurs opinions, ressentis, ou analyses de ce qui leur est demandé d’engager. Ils peuvent alors se sentir pris dans des conflits de valeurs ou face à des injonctions contradictoires. Il a été constaté par ailleurs que les équipes qui travaillent dans une culture de prise de responsabilités, de collaboration et d’initiative sont plus facilement convaincues de pouvoir affronter les difficultés. La confiance en soi, alliée à la foi en l’autre et en l’entreprise, motive à donner cet effort supplémentaire qui sera décisif.

Fortes de ces constats et de nos singularités d’expériences et de compétences, nous avons souhaité, avec Elodie Bergerault, chorégraphe et Sabrina Murphy coach (1), concevoir ensemble un parcours collectif expérientiel qui interroge la posture managériale par le mouvement corporel.

Faites émerger de nouveaux appuis, en vous et avec les autres !

Son principe : favoriser une prise de conscience corporelle et émotionnelle, qui est plus forte et mémorisable qu’une compréhension purement théorique et cérébrale. L’un vient avec l’autre, pour se renforcer mutuellement. D’ailleurs, ago, racine du mot « agilité » ne signifie-t-il pas « mouvement de soi qui entraîne le mouvement des autres » ?

Ce parcours inédit permet de :

  • Transformer les nœuds ou blocages vécus par les managers en opportunités de découverte de nouvelles ressources durables pour eux-mêmes, pour leurs collaborateurs et pour leur entreprise
  • Changer leur regard sur ces situations d’inconfort
  • Faire émerger des appuis inexplorés
  • Les rendre moteurs de leur propre transformation et de celle de leur entreprise

Il s’adresse : aux managers de proximité ayant plus de 5 ans d’expérience dans la fonction de management, qui perçoivent leur environnement d’entreprise comme mouvant ou incertain et ont le désir d’élargir le champ de leurs ressources pour accomplir leurs responsabilités de façon plus sereine. Ainsi qu’à toute personne qui souhaite s’interroger sur sa posture face à l’inconfort (entrepreneurs, indépendants, membres de réseaux etc.).

Transformez des situations d’inconfort en opportunités de développement !

Ce qui sera engagé :

  • La perception du changement et de l’incertitude
  • Les appuis et ressources mobilisés pour dépasser les difficultés ou obstacles rencontrés
  • La place et le rôle de chacun dans le groupe
  • La coopération et le leadership

Pour connaître plus en détail le programme de ce parcours et ses modalités d’animation pour votre entreprise, contactez-moi.

Télécharger la brochure de présentation.

(1) Elodie Bergerault

“Danseuse, chorégraphe, j’ai fondé Danaïade en 2002 et réalisé ainsi des projets autour du mouvement pour de nombreuses marques (Chanel, Lancôme, Kenzo, Renault, Airbus, Air Liquide, Issey Miyake, La fondation Dubuffet, le Musée des Arts Décoratifs…

Passionnée par la danse et le mouvement sous toutes ses formes, je fédère, transforme, facilite les mouvements, conduis un changement, rends créatif un groupe.”

Site : http://www.danaiade.com/

(1) Sabrina Murphy

Spécialiste de la transformation RH (nouveau leadership, transformation managériale, intrapreneuriat, innovation) et également coach certifiée, Sabrina a piloté de nombreux projets au coeur de grands groupes et d’ETIs. Elle met en mouvement des individus, des équipes et des projets pour créer de la valeur multiple en travaillant à différents niveaux en même temps : dirigeants, managers, collaborateurs, process, parties-prenantes. Entrepreneure, Sabrina est aussi fondatrice et “Chief Ecosystem Energizer” de In’Possible, un écosystème dédié aux leaders en mouvement et à l’intrapreneuriat durable. Elle intervient en tant qu’experte pour la direction générale des entreprises (Ministère de l’Economie), l’EMLyon et le Cnam.

Nathalie et Elodie ont conçu et animé ensemble un atelier sur le leadership en mouvement (BPCE, Alumni des Arts & métiers …).

Pour plus d’informations, contactez-moi.

PS : parcours éligible au budget formation en entreprise.

A écouter, rencontre en podcast avec Elodie, série Mine de rien.

#Episode 8 podcast Anne-Charlotte Vuccino

8ème épisode de la série de podcasts que j’ai initiée avec Mitrane Couppa, et un fil conducteur pouvant être décrit ainsi : nous faire découvrir des histoires singulières, des parcours de vie et des conquêtes. Conquête d’indépendance, de liberté, d’identité.

Avec une question fondamentale : comment changer, se transformer, évoluer et / ou s’accepter en restant fidèle à soi (ses valeurs, son héritage, ses loyautés) ?

Retrouver la série complète ici.

Ancienne consultante en stratégie, diplômée d’HEC, Anne-Charlotte Vuccino a créé une nouvelle méthode inspirée du Yoga, qu’elle a découvert à la suite d’un grave accident de la route. Convaincue que le Yoga avait changé sa vie, Anne-Charlotte a abandonné le salariat pour devenir entrepreneure en 2015. Elle nous raconte son chemin pour se rééduquer grâce au Yoga, la force, le courage et l’optimisme qui lui ont permis de créer la première startup de Yoga corporate : Yogist-Bien au Bureau. Après la publication de son premier ouvrage Comme un Yogist en 2016, Solar Editions, Anne-Charlotte nous annonce la sortie du deuxième pour septembre. A découvrir également le chatbot Yogist à essayer gratuitement chez soi ou au bureau.

Le voyage d’Ulysse, une épopée pour nous aider à rester humain

Les mythes et les légendes me passionnent. J’ai d’ailleurs déjà écrit des articles sur mon site, en m’inspirant de Nancy Houston par exemple, ou de Sylvain Tesson. Comme l’écrit Eugène Enriquez dans la préface de La retraite, une nouvelle vie. Une Odyssée personnelle et collective (1), « ils doivent être pris au sérieux, car les mythes nous parlent de notre condition humaine. Ils nous présentent sous forme de récits attrayants et tragiques les problèmes centraux auxquels chacun de nous, un jour, est ou sera confronté.e. »

J’ai la grande chance d’en connaître l’autrice, Anasthasia Blanché, qui a accepté pour ma plus grande joie de répondre à mes questions. Anasthasia s’est appuyée sur l’Odyssée d’Homère pour étudier un tournant de vie majeur, la retraite. Au-delà de celui-ci, Anasthasia nous livre avec générosité et bienveillance les clés de compréhension de l’Odyssée d’Ulysse au prisme des épreuves, décisions, découvertes, transformations de nos propres vies. En suivant le voyage d’Ulysse, ses différentes étapes parsemées d’aventures les plus étranges et évocatrices, ce livre nous fait percevoir avec acuité que « le but de l’itinéraire odysséen, c’est le rendez-vous avec soi-même. » (Vladimir Jankélévitch) (1)

Psychanalyste, psychosociologue, sociologue clinicienne, formatrice, Anasthasia Blanché s’est appuyée sur les séminaires qu’elle a animés et les entretiens avec ses patients pour nous décrire leurs questions, tourments, expériences, valeurs et les solutions que chacun.e imagine pour faire face, avec son propre bricolage identitaire (2), et parfois une grande créativité. Charge à chacun.e de saisir le Kairos, ou l’opportunité inhérente à tout changement de vie.

“Nathalie : Peut-être que l’on pourrait revenir à l’origine, c’est-à-dire qu’est-ce qui t’a intéressé dans les mythes et en particulier l’Odyssée ?

Anasthasia : Je m’intéresse à la mythologie grecque en lien avec mes origines. Dans l’histoire familiale, on en parlait beaucoup des mythes grecs, il y a eu une transmission, même si je suis née et ai vécu à Paris. Il y avait quand même une ambiance grecque à la maison. Avec à la fois la religion orthodoxe, chrétienne donc, et un intérêt pour les mythes païens. Et tout ça cohabitait très bien. Ensuite, je m’y suis intéressée par ce que je trouvais ça extraordinaire, il y avait un côté merveilleux et qui me touchait beaucoup.

Ensuite, deux mots sur mon parcours sans entrer dans le détail : j’ai eu la chance de commencer une psychanalyse quand j’avais 19 ans pour des raisons personnelles et depuis, je n’ai pas arrêté. J’ai eu forcément l’occasion de rencontrer des analystes, des lectures, des groupes, qui m’ont fait m’intéresser de plus en plus à la mythologie. Voilà, c’est lié à quelque chose de personnel au départ.

N  : Tu parles de quels groupes ?

A : J’ai fréquenté les trois principaux groupes de la psychanalyse en France : les Lacaniens, les Jungiens beaucoup (je suis formée essentiellement à l’école Jungienne), ainsi que les Freudiens. J’ai une vision très large des différentes façons d’aborder l’inconscient. Toutes ces rencontres m’ont amenée à m’intéresser à la mythologie et évidemment au psychisme, à la façon dont est structurée la psyché. Par exemple, chez Freud, on a le mythe fondateur d’Œdipe et l’interdit de l’inceste. On voit bien qu’il s’appuie sur une figure mythologique. Et chez Jung aussi, c’est très présent, les archétypes, les invariants psychiques, l’inconscient collectif… On retrouve des fondamentaux qui sont aussi dans les mythes.

N  : Avec deux facettes, l’individuel et le collectif ?

A : Oui effectivement, les deux étaient présents. Et pour moi, il y a un pont évident. Je n’ai pas eu à scinder la lecture intrapsychique de la lecture sociale, historique et mythologique. Cela participait pour moi de la même démarche, pour comprendre le monde, pour moi et pour les autres.

Ça c’est pour répondre à ta question sur l’origine, et au fil du temps, je me suis rendue compte que les grands mythes apparaissaient aussi – lorsque je suis devenue analyste – dans les discours des patients, il y avait des espaces archétypiques très puissants qui agissaient. Petit à petit, pour ceux qui étaient intéressés et ouverts aux symboles – tout le monde ne l’est pas – et bien cela produisait des effets très puissants dans le travail thérapeutique.

Pour en revenir aux aventures d’Ulysse et la retraite, j’ai animé des séminaires sur la retraite avec un collègue canadien Jacques Rhéaume. Lui avait sa façon d’aborder les choses, sur l’aspect plus sociologique, moi plus psychanalytique. Ensuite, j’ai participé pendant plusieurs années à un groupe de travail pluridisciplinaire, qui a donné lieu à une publication en 2006, L’entrée dans la retraite, nouveau départ ou mort sociale, aux Editions Liaisons Sociales, sous la direction de Dominique Thierry.

Sur la façon dont j’ai structuré à la fois mes accompagnements individuels et mon livre : ce sont les patients que j’écoutais. C’est vraiment un travail de clinicienne. Ce sont des propos que j’entendais, par exemple : « Je me sens dériver, je me sens déboussolé, je ne sais plus qui je suis, je suis en pleine tempête, j’ai peur de quitter le navire, j’ai l’impression de n’être personne… », cela m’avait vraiment frappé. J’ai fait un pont très personnel entre ce qu’ils disaient à leur entrée dans la retraite et ce que je connaissais des aventures d’Ulysse. Il y avait vraiment là des images très fortes d’une dérive, d’un voyage tempétueux, et j’ai pensé à Ulysse et à l’Odyssée.

N : Si on prend l’exemple de la retraite, les citations que tu utilises, on les retrouve dans les différentes parties du livre. C’est passionnant de voir que tu étaies ton propos par des citations de patients qui ont participé à tes groupes.

A : Ce sont à la fois ceux qui ont participé à mes groupes et ceux que j’ai suivis en thérapie. Je suis partie vraiment de la clinique, pas d’une théorisation, c’est cette clinique-là qui m’interrogeait. J’ai compris qu’on était vraiment dans des étapes de l’Odyssée, et que les personnes les traversaient comme elles pouvaient, de façon plus ou moins mouvementée.

N :  Sachant que la retraite est une transition de vie, tu le dis dans ton livre. Il y en a d’autres. Tu peux capitaliser sur l’étude des images, des symboles dont tu parles, tu les utilises dans le cadre d’autres transitions de vie ?

A : Oui c’est parlant. En revanche, cela parle peu aux adolescents. J’ai été thérapeute d’adolescents, c’est ce qui m’a permis d’apprendre mon métier pour tout ce qui est transition majeure, le passage de l’adolescence à l’âge adulte, c’est vraiment un grand bouleversement bio-psycho-social. Il y a tout : le corps, la psyché, le social. En revanche, pour les adultes, et notamment lors de la fameuse crise du milieu de vie, que j’appelle seconde adolescence, on va avoir les mêmes questions qui reviennent. Quand je fais référence à certains passages de l’Odyssée, cela parle à certaines personnes, cela les aide à avoir moins de peurs quand elles vivent de grands bouleversements, des transitions. Car il y a toujours un moment critique. On ne peut pas quitter quelque chose que l’on connaît pour aller vers quelque chose d’inconnu, c’est bien ça le voyage d’Ulysse.

N : Quand tu parles de milieu de vie, c’est vers 40-45 ans ?

A : Avec l’allongement de la durée de vie, on voit ces questionnements vers 45-50 ans.

N : Les personnes qui sont en reconversion professionnelle par exemple ?

A : Oui cela peut être ça, tout à fait. Au milieu de la vie, il y a un questionnement. A la fois biologique, avec le corps qui est en train de changer ; sociologique, avec les valeurs que l’on avait mises en place pour construire sa vie qui commencent à changer, c’est un passage délicat. Dans les aventures d’Ulysse, il y a un côté « épopée », avec des images qui aident à accompagner la turbulence. Cela parle à toute personne ouverte à la symbolique.

N  : Tu fais référence à d’autres mythologies que la mythologie grecque ?

A : Je fais souvent référence aux personnages bibliques. Même s’ils ne sont plus croyants, les retraités ont été bercés dans leur enfance par la religion, qu’elle soit juive ou chrétienne, c’est pareil, cela fait référence à l’Ancien et au Nouveau Testament. Les mythologies asiatiques parlent moins, c’est une question de culture dans laquelle on a été bercé dans sa famille ou à l’école.

N  : Pour revenir aux transitions de vie, il peut y avoir le chômage par exemple ?

A : A tout moment, où il y a une rupture dans quelque chose mise en place, cela ne fait plus continuité avec l’identité. Il y a une nécessité de retrouver des repères. Quand on dit rupture, c’est qu’il y a perte de repères classiques.

N : Rupture subie ou voulue ?

A : Oui c’est comme la retraite, soit elle est voulue, soit elle est subie. Tu peux tout à fait travailler avec ces grandes ruptures-là. Cela permet de soutenir quelque chose de très ancien en nous, qui remonte à la nuit des temps. Pour revenir à Homère, il y a eu des interprétations depuis des siècles sur ces deux livres fondateurs que sont l’Iliade et l’Odyssée de notre civilisation européenne. Il faut réveiller un enfant de 6e qui adorait la mythologie et qui est devenu un jeune retraité pour essayer de recontacter en lui l’émerveillement qu’il a pu ressentir.

N : Tu continues d’animer des groupes sur la retraite ?

A : Oui, avec Isabelle Nalet. C’est toujours aussi passionnant. Vraiment.

N : Qu’est-ce qui t’a décidé à t’appuyer sur les aventures d’Ulysse ?

A : Je suis partie de ce qu’ils disaient dans ces groupes, de l’état dans lequel ils étaient : l’idée m’est venu de m’appuyer sur les aventures d’Ulysse pour écrire le livre. Et pour transformer mes accompagnements de retraités surtout. En m’appuyant sur ce personnage.

N : Dans la première partie de ton livre, tu présentes les différentes escales d’Ulysse, ses épreuves.

A : Oui ce sont des épreuves initiatiques, c’est comme cela que je le comprends. J’ai symbolisé la guerre de Troie (L’Iliade) par une espèce de malédiction des humains d’être tout le temps en guerre. On peut faire le lien avec aujourd’hui la guerre économique et la guerre sociale, on est dans le même vocabulaire. Ulysse au départ a de nombreux compagnons, et à la fin, il va être tout seul. Il quitte la guerre de Troie, dans laquelle il est encore. Je le vois chez certains hommes, plutôt des cadres supérieurs, qui se comportent comme si de rien n’était. Ils continuent à avoir un comportement guerrier. Ce n’est pas péjoratif, mais ils se comportent encore comme des soudards, c’est ce que fait Ulysse au pays des Cicones. Il se bat, il les massacre et il est obligé de prendre la fuite. Cet épisode-là, c’est comment on se sépare du monde du travail. Quelles sont les modalités de séparation pour que cela se passe bien. Il faut voir comment se jouent les fins de carrière. Comment les gens sont traités dans ces moments-là. Est-ce qu’ils ont pu transmettre avant de partir. Et le fameux pot de départ, qui est un rituel. C’est le seul rituel de séparation qui permet, ou pas selon la façon dont cela s’est déroulé, aux personnes de se séparer du monde du travail.

N  : J’ai apprécié cette partie-là de ton livre, car tu interroges la place du travail dans la vie.

A : Autour de la cinquantaine, c’est une question qui vient se poser, notamment au cours des reconversions que l’on voit beaucoup aujourd’hui. Qu’est-ce que le travail représente dans ma vie ? Jusqu’où je suis complètement identifié à mon rôle professionnel ?

N : Ces questions peuvent donner lieu à des coachings.

A : Absolument. Les coachs qui accompagnent des personnes qui sont en prise de poste à l’intérieur d’une même entreprise, ou ont le souhait de partir ou de changer de vie doivent poser ces questions-là : avant de démarrer tout projet, il faut s’interroger sur ce que le travail représente dans sa vie. Et on est bien sur l’identité. C’est toute l’identité professionnelle qui peut être remise en cause. Cela peut être très douloureux d’avoir à y renoncer.

N : Comment tu définirais l’identité professionnelle ?

A : Cela correspond à la façon dont j’ai investi tout le sens de la vie professionnelle. Est-ce que j’ai investi un métier, est-ce que j’ai voulu faire carrière ? Comment j’ai abordé, jeune adulte, le monde du travail, et qu’est-ce que j’ai investi de mon être profond ? Avec le souci de s’accomplir et d’avoir de la reconnaissance, de faire partie d’un groupe, d’un métier. Et à la fois de me différencier des autres. Il y a les trois pôles : m’identifier et faire partie d’un groupe, une entreprise ou un groupe professionnel ; être différent, avancer dans ma singularité ; et être reconnu. C’est fondamental. Etre reconnu en tant que bon professionnel. Une définition : avoir un travail qui est reconnu pour sa beauté et son utilité. Est-ce que ce que je fais est utile ? Est-ce que ce que je fais est beau ?

N  : On pense à la beauté pour un artisan, moins pour les métiers de service.

A : Oui c’est vrai. Un ébéniste est reconnu pour son geste, son œuvre. Or ces métiers de l’artisanat sont déconsidérés, avec peu de fierté de les exercer. Sauf les métiers d’ouvriers. Il y avait une fierté à appartenir à la classe ouvrière. Les imprimeurs par exemple, qu’on appelait l’aristocratie ouvrière. Ils étaient fiers de ce qu’ils faisaient. Cela a changé aussi. Petit à petit, cela s’est dégradé, avec l’arrivée de nouveaux métiers dans le tertiaire. On est en train de redécouvrir en ce moment que tout métier mérite d’être reconnu. Il faut avoir une vision égalitaire de la société. Cela renvoie à d’autres fondamentaux plus philosophiques ou politiques.

Quand on est chez les Cicones, on est encore dans le monde des humains, dans le réel. Ensuite, on va plonger dans un voyage intérieur, un voyage imaginaire. On change de registre, des Lotophages jusqu’aux Phéaciens qui sont à moitié dieux et humains. On part ailleurs. C’est poétique, on plonge à l’intérieur de l’être. Ulysse rencontre des personnages qui n’existent pas. Soit des dieux, soit des démons, soit des personnages imaginaires. On plonge dans le voyage psychique. Chez les Lotophages, dans ce pays, tout le monde se shoote au lotos. C’est le risque de l’oubli. C’est fondamental pour les Grecs à l’époque. C’est l’oubli de soi. C’est ce que j’ai entendu dans tes podcasts, qu’est-ce que l’on a oublié de son identité, comment est-on resté fidèle à soi ? En Grèce, la pire des choses, c’est d’oublier qui on est, d’où on vient, et le dessein que l’on suit, les objectifs que l’on a dans la vie. On est bien chez les Lotophages : ce sont les gens qui s’abrutissent avec des anti-dépresseurs, parce que l’angoisse est trop forte, parce que la bascule est trop difficile. Cela arrive. C’est comme quand on est drogué. Ou que l’on se laisse aller dans une rêverie stérile. Chaque étape est une épreuve. Le risque est de rester coincé sur cette île.

N  : Est-ce qu’il y a des points positifs, des opportunités à saisir à chaque escale ?

A : Oui, chez les Lotophages, par exemple, pourquoi ne pas s’arrêter quelque temps, faire un break, se laisser aller tranquillement, quand le temps est suspendu, comme ce que l’on a vécu pendant les deux mois du confinement, c’est un peu ce que j’appelle le délice trompeur de la nourriture de l’oubli. Pourquoi pas, cela peut être agréable, mais le risque est de s’installer là-dedans, de ne plus avoir goût à rien. Là encore, je ne porte pas de jugement de valeur. C’est un risque psychique, de tomber dans une pathologie mentale, dans un glissement, comme certaines personnes âgées. Et puis le risque est de ne plus pouvoir vivre sans pilules en tous genres. Il ne faut pas y rester trop longtemps. A chaque étape, il y a des menaces et des opportunités.

N  : Et les cyclopes ?

A : C’est une étape géniale que j’adore. On voit comment Ulysse est rusé pour parvenir à crever l’œil d’un cyclope. C’est un monstre qui n’a qu’un œil. Il est sans foi ni loi. Il mange ses compagnons. C’est une force brute. Le cyclope, c’est commencer à réfléchir à sa part d’ombre opposée à la persona. Quand on enfonce le pieu dans l’œil du cyclope, c’est sacrifier en soi la part de la toute-puissance infantile qui peut être monstrueuse. C’est un vrai travail psychique de venir à bout de sa propre cruauté, que nous avons tous en nous. C’est une réflexivité, un miroir qui se tend à nous. C’est aussi le moment où l’on doit renoncer à son identité sociale, si on est trop accroché, c’est le problème d’Ulysse. Cela va lui jouer un sacré tour. Il ne peut pas s’empêcher, alors qu’il s’échappe, au moment de quitter le rivage, de dire à Polyphène – c’est le « très connu » en grec, « le fameux »- « mon nom est personne ». Celui-ci dira plus tard qu’il a été blessé par « personne ». Tout le monde se moque de lui. Mais notre héros ne peut pas s’empêcher à la fin de dire « Je suis Ulysse », et il donne toute sa dénomination. Sauf que Polyphène, le cyclope, est le fils de Poséïdon, le dieu des mers. Il va avoir une route monstrueuse pour rentrer, cela va lui prendre 10 ans. Parce que ce Dieu va se venger de lui. La symbolique est intéressante par rapport au travail que doit faire petit à petit le retraité pour se désidentifier de son personnage social, de celui qui est connu. D’un seul coup, le retraité n’est plus personne, il n’est plus le président-directeur général. Il va être obligé de se construire un autre personnage social.

Souvent, les gens disent : « Comment je vais me présenter maintenant que je suis à la retraite ? Qu’est-ce que je vais dire de moi ? ». Il y a petit à petit un détricotage à faire pour pouvoir accepter cette nouvelle identité de retraité. On va dire : « Je suis bénévole aux Restos du Cœur », ou alors plus difficile, ils vont se sentir obligés de raconter tout ce qu’ils ont fait durant leur vie active, tout leur parcours professionnel. Ce qui n’intéresse personne en général… En France, on dit pour se présenter à des inconnus : « Bonjour, je m’appelle Untel, je suis xxx et je décline mon identité professionnelle. Je suis coach, je suis psy, etc. » Progressivement, ce détricotage va se mettre en place, la retraite dure en moyenne 25 ans, ce n’est donc pas un simple passage dans sa vie.

N  : A un moment, tu écris « Regarder le cyclope, c’est se regarder soi-même ». J’aime beaucoup cette phrase.

A : Oui, parce que ce regard, c’est tout un travail d’aventure intérieure. Qu’est-ce qu’on va découvrir de soi que l’on n’aime pas trop ? Pas forcément des très belles choses, c’est la part de l’ombre que l’on a en nous et qui n’est pas forcément reluisante. Mais c’est aussi regarder ce que l’on a au fond de nous, c’est une rencontre avec soi-même, encore faut-il pouvoir ou vouloir y aller.

N : Cela demande du courage.

A : Mais oui, absolument. C’est un archétype du courage, de l’endurance, de la résilience.

N : Ulysse, au fond, est très attachant, car il est très humain. Il a des qualités incroyables, et en même temps, de temps en temps, il a aussi des faiblesses très humaines.

A : Oui, il est complètement comme nous !

N : C’est pour cela que l’on s’identifie si facilement à lui.

A : Oui, il peut être très courageux, il a été un grand guerrier à Troie, il a imaginé la ruse du cheval pour conquérir la ville. Et de temps en temps, il a des faiblesses pas possibles. Comme nous, on est à la fois fort et faible.

N : Mais il paie très cher ses erreurs.

A : Cela nous montre aussi les écueils que l’on risque de rencontrer si l’on ne fait pas attention. C’est un guide précieux pour nous, on se dit, là quand j’arrive sur cette île, je dois faire attention sur le chemin du retour à Ithaque.

Ensuite, il y a l’île d’Eole, les Lestrygons, Circé, les Sirènes… On a des dieux et déesses, des monstres, ce sont les liaisons dangereuses comme je les ai appelées. L’île d’Eole, c’est le risque de l’isolement et de la solitude. Eole donne à Ulysse les vents enfermés dans une outre. Et ce sont ses compagnons, un peu infantiles, comme une part de nous, qui ouvrent l’outre, et tous les vents se déchaînent et le ramènent au point de départ. C’est le risque de se retrouver tout seul, sans faire attention à l’importance du lien aux autres, et du lien à soi. Ainsi s’exclame Ulysse : « Après notre folie, où retrouver un guide ? » Dans chaque île, il y a quelque chose de précieux qui peut nous guider. Si on n’y fait pas attention, cela se retourne contre nous et c’est ce qui lui arrive. L’île d’Eole est close sur elle-même. On voit ce risque majeur aussi aujourd’hui d’une extrême solitude non choisie. Ensuite, on va avoir l’île des Lestrygons : ce sont des anthropophages. Ils harponnent comme des thons les compagnons d’Ulysse et les dévorent. On est face à quelque chose de très sauvage, d’archaïque. L’anthropophagie est l’un des interdits majeurs, on ne se mange pas entre humains. C’est aussi le réveil des angoisses qui peuvent arriver dans ces moments troublés (pandémie), qui peuvent dévorer le cœur des gens. Ce sont des choses que j’entends chez des patients qui ont des angoisses majeures : de séparation, de morcellement, de dévoration même. Parce qu’ils ne supportent pas la séparation avec le monde de l’entreprise, le monde du travail. Et cela rejoint ce que Winnicott avait trouvé chez les enfants, ce qu’il a appelé les agonies primitives. Des angoisses impensables. Que je rapproche de ce que je n’ai pas écrit dans le livre, car j’ai travaillé avec des personnes en fin de vie, en formant des bénévoles à leur accompagnement. Des angoisses terribles au moment de la mort. Certains médicaments, morphine ou autre, ne soulagent pas ces angoisses-là. Du berceau au tombeau, du bébé au mourant, certaines angoisses dévorent. Elles peuvent être atténuées par des médicaments, ou une présence humaine maternante. Les compagnons d’Ulysse disparaissent petit à petit. Il arrive sur l’île de Circé, une magicienne magnifique, une femme fatale.

N  : Quelle figure féminine encore chez Homère !

A : Oui, l’Odyssée a été écrite par un homme pour des hommes. Circé va transformer les compagnons d’Ulysse en porcs. Ils perdent tout souvenir de leur patrie et de leur identité d’humain. Lorsqu’il y a eu « Balance ton porc », je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien. J’ouvre une parenthèse, je dévie un peu… C’est riche tout ça. Ulysse va rencontrer Hermès, le messager des dieux, qui va l’aider en lui donnant un contre-poison, le Molu, une herbe de vie pour ne pas avoir le même destin animal que ses compagnons. L’herbe de vie parle à beaucoup de patients : ce sont des ressources que l’on a en soi. Ulysse est sauvé grâce à cela. Il passe un certain temps avec la belle Circé. Elle accepte que ses compagnons redeviennent humains, à condition qu’il reste avec elle, il y a chantage. On le voit dans certains couples où il y a une maîtresse avec le chantage au mari pour qu’il reste. Je l’ai entendu dans les groupes de retraités. Les compagnons d’Ulysse en ont marre, ils s’ennuient, ils veulent partir. Circé va leur donner un précieux conseil pour qu’ils puissent regagner Ithaque : aller au royaume des morts. C’est un moment clé dans l’Odyssée. Ulysse va devoir y descendre et faire des sacrifices. On est confronté quand on est retraité à sa finitude, au rapport à sa mort, au temps qui reste. On ne peut pas faire l’économie de cette question. Ulysse va rencontrer des héros, comme Agamemnon ou Achille. Achille va lui dire quelque chose d’essentiel : « Moi qui rêvais d’être connu après ma mort, de rester glorieux dans les mémoires. Je me suis trompé. J’aimerais mieux être sur terre, domestique d’un paysan, que de régner ici parmi ces ombres consumées ». Ulysse ne va pas chercher la gloire ou la richesse, il va chercher la vie bonne, que les philosophes antiques proposaient. Il n’est pas construit sur le même modèle que le jeune Achille, qui rêvait de célébrité. Comme certains aujourd’hui présents sur Facebook ou Twitter (rires). C’est un moment majeur : qu’est-ce que je veux faire de ma vie, quel sens je veux lui donner ? Il y a une confrontation à notre finitude à ce moment-là. Il vaut mieux être accompagné dans cette réflexion, cela peut faire très peur. Comment accepte t’on notre vieillesse et notre mort ? Sont-elles intégrées à notre vie, ou non ? Quel rapport a-t -on avec elles ? Ensuite, on va aller voir les sirènes. Ce sont de magnifiques créatures ailées, elles n’ont pas de queue de poisson.

N : Disney nous a menti ?!

A : Absolument ! Ce sont des femmes oiseaux. Elles connaissent tout sur nous les humains. J’avais trouvé génial Sylvain Tesson qui dit, « C’est Big brother avant l’heure ». Elles ont des charmes qui sont à la fois érotiques et mortels. Tous ceux qui se laissent piéger, elles les tuent. Autour de leur île, il n’y a que des cadavres. Le risque : se faire prendre à ce fameux chant des sirènes, qui vont nous dire combien on est beau, on est intelligent. Elles nous flattent. Ulysse arrive quand même à se faire attacher, à chaque fois, il trouve quelque chose pour ne pas céder. Ensuite, il va se retrouver au passage de Charybde et Scylla. Ce sont des monstres marins qui dévorent, qui engloutissent tout le monde. En pensant échapper à Charybde, on rencontre un monstre bien pire, Scylla (3).

N  : Justement, par rapport à ce que l’on vit en ce moment, est-ce que tu as identifié un Charybde ou un Scylla ?

A : Il ne faut pas que l’on revienne au monde d’avant, je trouvais qu’il était fou. Recommencer comme avant, ce serait peut-être aller de Charybde en Scylla. Comme l’écrit Michel Houellebecq, ce serait le monde d’avant en pire. Et ensuite, il passe sur l’île du Soleil. Sur cette île d’Hélios, il y a un troupeau de vaches sacrées, qu’il ne faut surtout pas toucher. Et évidemment, Ulysse va s’endormir. A chaque fois, qu’il s’endort, il y a une catastrophe. C’est la limite entre le sacré et le profane. Les marins vont manger les vaches sacrées. Zeus se met en colère, il envoie sa foudre sur le navire. Tous les marins meurent. Ils ont transgressé les règles en s’appropriant les nourritures divines. Là on peut faire un parallèle avec l’épuisement des ressources de la planète aujourd’hui. Il y a quelques lois divines qui sont transgressées, et les humains le paient cher. Il y a aussi le veau d’or, on retrouve cela dans la Bible.

N  : C’est la cupidité aussi ?

A : La cupidité, l’avidité, l’argent… C’est dévastateur. Quand il a terminé ce périple-là, il se retrouve tout seul et il va dériver pendant des jours sur une mer déchaînée, accroché à une branche. Il va atterrir chez la sublime nymphe Calypso, cela veut dire, « la cachée » aux yeux du monde. Elle va le garder captif pendant sept ans sur une île déserte. Symboliquement cela peut être : le temps du repos, ne plus être dans le monde, se cacher, ce qui peut être positif, moins dans l’accélération, hors de l’espace et du temps d’avant. Il va être tout le temps en train de pleurer et de se languir de Pénélope. Il regrette sa vie d’avant. Il a beaucoup de nostalgie à propos d’Ithaque. Le récit de l’Odyssée est construit d’une façon extraordinaire : il y a des flash-backs, avec une vraie mise en scène très moderne. Calypso va lui proposer l’ultime choix héroïque : si tu restes avec moi, tu auras la jeunesse éternelle et l’immortalité. L’offre est attrayante ! Et il va dire non. Et c’est là où il me touche beaucoup. Il accepte son sort d’humain vieillissant et mortel.

N : Et  pourquoi à ton avis ?

A : Il a vu les âmes errantes, il a écouté Achille. Devenir un Dieu ne l’attire pas. Quelque chose le ramène à sa finitude.

N : Il y a eu des films de science-fiction sur ce que cela peut donner de devenir immortel.

A : Absolument. Le fantasme d’éternité est en nous. L’enfant a l’impression d’être tout-puissant comme les Dieux. Les films de super-héros sont vraiment là-dedans. Ulysse dit non à cela. Je suis un humain et j’accepte ma condition humaine. C’est presque héroïque. Ce passage fait vraiment réfléchir, les hommes surtout, avec lesquels j’en parle. Ulysse est une figure, un archétype, il peut être homme ou femme. Selon moi, les femmes ont moins ce sens-là de l’envie d’immortalité, car il y a un rapport aux pertes (de sang, d’enfant …) et à la vie très différent des hommes. Quelques femmes ont le fantasme de toute-puissance et d’éternité, mais beaucoup moins que les hommes. Les femmes sont dans le cycle de la nature, et dans la nature, on vit et on meurt.

N  : Peut-être parce que l’on met au monde ?

A : Cette expérience de la maternité, tu as raison, laisse des traces formidables de la condition humaine. Et cette expérience-là, à la fois physique et psychique, les hommes ne l’ont pas.

N : D’ailleurs cette étape de la maternité, on ne la retrouve pas forcément dans les aventures d’Ulysse.

A : Non, ce n’est pas abordé. Même chez les figures féminines présentes dans l’Odyssée. Pénélope est la seule à être mère. Ce sont toutes des femmes seules, ou vierges…

C’est formidable ce qui se passe là, Ulysse dit « Je veux rester un simple mortel ». Cela rejoint ce qui se passe aujourd’hui dans les laboratoires, l’âge est un crime. Il ne faut surtout pas vieillir, vieillir est un tabou, on rêve de fabriquer des humains non-mortels. C’est travaillé dans la Silicon Valley, le transhumanisme, cela correspond à un courant. Quand les religions étaient plus prégnantes, on avait l’espoir d’être immortels dans l’éternité près de Dieu, mais après la mort (par la résurrection ou la réincarnation). On est plutôt dans un fantasme d’éternité, qui est un rêve de toute-puissance. Pour moi, c’est inquiétant, quel genre d’humain on va fabriquer ? Ce sont des sujets finalement très personnels, mais aussi sociétaux et politiques. Quel type de société on veut ? On voit bien la demande de revalorisation des métiers du soin, de l’accompagnement, toutes ces femmes qui sont extraordinaires, qui travaillent dans les établissements de santé et les maisons de retraite. Cette histoire de Calypso ouvre à plein de questions, encore aujourd’hui.

N  : Il est d’une modernité incroyable ce texte ! Quand a-t-il été écrit ?

A : Il serait daté du VIIIe siècle avant Jésus-Christ. On s’est demandé qui avait écrit le texte, est-ce qu’Homère est un seul homme… C’est une tradition de poètes et d’aèdes qui racontaient cette histoire fabuleuse, qui parle de nous en fait. L’humain n’a pas tant changé que cela. On a toujours la guerre, la mort, la jalousie, la violence, la trahison, l’espoir, le bonheur, le deuil, la malédiction, le sacrifice. A chaque époque, on essaie de trouver d’autres façons d’y répondre, mais les questions sont toujours les mêmes.

N  : C’est rassurant en fait.

A : Et bien voilà, il y a de la continuité ! (rires) De la continuité dans la condition humaine pour faire face aux mêmes questions. A la retraite, ce sont toujours les mêmes questions qui se posent. Je l’appelle la troisième adolescence (adolesco signifie grandir). Ce qui est épatant, c’est que chacun trouve sa propre réponse. Chacun est renvoyé à sa singularité. Il n’y a pas une seule façon de répondre à ces grandes questions que l’on vient d’évoquer, et qui nous concernent tous. On en arrive aux Phéaciens. Ulysse est tout seul sur son radeau, en pleine tempête. Poséïdon n’a pas lâché l’affaire, il poursuit sa vengeance, et il détruit le radeau. Une déesse va intervenir, Ino, qui a une belle écharpe, et qui va l’aider à échouer sur l’île des Phéaciens. Il s’endort et la très belle Nausicaa, une jeune princesse, qui le trouve sur la plage, le conduit chez son père. Elle en prend soin. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on va apprendre toute son histoire, en fait, à Ulysse. Il va commencer à dire « je » : on est le produit d’une histoire dont on cherche à devenir le sujet (4).

N  : Si cela se passe à cette étape-là, ce n’est pas par hasard ?

A : C’est la fin du parcours en fait. Il était raconté par les autres, on parlait de lui, mais ce n’est pas lui qui parlait en son nom. Il va raconter son récit. Le roi de Phéacie va même lui proposer de devenir son gendre, en épousant la jeune Nausicaa. Et il va dire non. C’est l’homme qui sait dire non à des tentations extraordinaires.

N : On retrouve l’idée de la fidélité à soi et de loyauté, qui m’est chère (5).

A : Exactement, loyauté à Pénélope et Ithaque, mais aussi à ses valeurs et croyances. Et à la fin de cet épisode, les portes du monde hors du temps et de l’espace – des chimères, des fantasmes -, se referment. Ce monde-là n’existe plus, et les phéaciens vont l’aider à rejoindre Ithaque, avec un bateau formidable qui avance par la pensée. Poséïdon va les punir en démolissant leur bateau. Ce n’est pas évident de s’opposer à Poséïdon, cette puissance archaïque.

N  : Aujourd’hui, Poséïdon ce serait qui ou quoi ?

A : Ah, cela pourrait être ces forces qui détruisent la Terre ou les humains, comme ce minuscule virus invisible que nous subissons. Il a une forte capacité à ébranler, comme nous le sommes en ce moment. Ulysse de retour à Ithaque fait tout un travail généalogique, il va rencontrer son fils et son père. Et tous ceux qui l’ont connu. Avant de revoir Pénélope, en dernier. Et il va falloir qu’il fasse la preuve que c’est lui, car il apparaît sous la forme d’un mendiant.

N : Elle est méfiante.

A : Oui et elle a raison, elle a dû faire face à des prétendants qui voulaient l’épouser et sont en train de dilapider la fortune d’Ulysse. Elle est très forte Pénépole. Elle incarne une figure féminine hors du commun, qui doit elle aussi résister à la tentation. Ce sont des imposteurs, ces prétendants qui sont aussi en nous, avec nos illusions infantiles, qui ne mènent à rien. Puis c’est cette histoire merveilleuse sur la preuve et la construction du lit nuptial. Il est le seul à savoir que le lit ne peut pas être déplacé, car il est construit autour d’un arbre. Quelle belle lecture de l’amour conjugal. Se pose la question de comment reconstruire le couple à l’heure de la retraite, car le corps a vieilli, le jeune homme qu’il a été n’est plus et comment il a changé. Cela rejoint ton interrogation sur l’identité : comment l’identité s’est transformée petit à petit, et en quoi on est toujours la même. Il faut avoir une sacrée force pour rester fidèle à soi. 

N  : Dans ton livre, tu écris que le retour à Ithaque est une transformation identitaire.

A : Oui, c’est-à-dire que c’est la fin de la transformation. Tout le voyage d’Ulysse prend 10 ans. Dans la réalité pour les retraités, cela ne prend pas 10 ans, mais cela peut prendre quelques années. On a quitté un lieu, c’est la transition et le voyage, et le moment où il arrive à Ithaque et combat les prétendants pour se faire reconnaître, c’est le moment où il est dans son identité profonde : il est le roi d’Ithaque. Même si ce n’est plus le même homme parti il y a 20 ans pour faire la guerre de Troie. En plus, il découvre un fils qu’il n’a jamais connu, et une femme qui a vieilli.

N : A la fin de l’Odyssée, on comprend que ce n’est pas fini, d’autres défis l’attendent.

A : Oui, en effet, et c’est le cas aussi des retraités, qui se retrouvent à deux enfermés entre quatre murs, 24 h sur 24. L’aventure n’est pas finie. On l’entend en ce moment en cette sortie du confinement. Certains se séparent. Ils n’ont pas supporté cette cohabitation.

N : Je me suis dit en effet que le confinement allait être un crash test pour les couples !

A : (rires) Oui, tu as raison ! L’aventure n’est pas finie pour le retraité, car selon les âges, de nouvelles questions vont se poser. Aux niveaux du corps, de la maladie, des activités, des envies sexuelles, du couple, de la vie sociale … On est revenu chez soi, on est soi, on se retrouve, avec cette question : quelle est ma place ? Quel est mon rapport à moi, aux autres et au monde ? Il y a un temps de répit, au bout de cette grande transition où Ulysse est enfin à Ithaque.

N  : J’ai noté cette question que tu poses dans ton livre : où est notre propre Ithaque et à quoi peut-elle ressembler ? Les bouddhistes disent que lorsque l’on médite, on revient dans sa maison, on revient à soi.

A : Oui, si on regarde avec un peu de distance, on parle de la même chose. C’est retrouver le soi comme le dit Jung, il s’agit de retrouver ce qui est central, au cœur de soi, de notre être profond. Quand Ulysse arrive à Ithaque, son chemin n’est pas fini, il y aura d’autres aventures, on ne peut que les imaginer. Dans les séminaires que j’anime, je demande : « Comment voyez-vous votre futur ? ». Les stagiaires arrivent à l’imaginer, mais avec beaucoup de peurs. C’est un inconnu, tous les chemins balisés de la maison, du travail, des enfants, du mari, tout est fini. Si je ne me lève plus pour aller au travail, qu’est-ce qui se passe ? C’est tout le rapport à l’espace et au temps qui doit être revu. Il faut du temps pour « détricoter » ce que l’on a été, avant d’imaginer ce que le futur pourra être. Il faut changer de matrice en fait. Ce que l’on a vécu pendant deux mois avec le confinement, c’est en accéléré ce que vivent les retraités lorsqu’ils sont dans ce passage de transition. Ils disent : « Je ne sais pas vers quoi je vais, je remplis, car il y a du vide… », c’est ce que l’on a vécu aussi collectivement ces derniers mois. Allons-nous saisir le Kairos, l’opportunité, de changer de monde ? Quand la poésie est là, c’est tout de même plus facile à exprimer n’est-ce pas ? Les mythes peuvent nous aider à mettre de la poésie et de la beauté dans le tragique que nous vivons parfois. A retrouver sens et beauté dans nos vies, là où l’on peut.”

(1) La retraite, une nouvelle vie. Une Odyssée personnelle et collective. Editions Odile Jacob, 2014. Préface d’Eugène Enriquez.

(2) A lire, article sur les histoires de vie.

(3) Autre ouvrage passionnant à lire sur l’épopée humaine : Histoires de toujours, dix récits philosophiques par Henri Pena-Ruiz, Editions Flammarion 2008/J’ai lu.

(4) A lire, accompagnement et sociologie clinique.

(5) A écouter, la série de podcasts sur la fidélité à soi et la loyauté, Mine de rien.