L’interprétation sociologique des rêves

9782707198662.JPG

J’aimerais partager avec vous quelques extraits d’une interview lue dans Télérama (1) qui a apporté de l’eau à mon moulin sur les rêves et la notion d’identité qui m’est chère.

Il ne s’agit pas ici des rêves ou aspirations tels que je les aborde dans les accompagnements Shynleï que je pratique depuis quelques mois. Il s’agit de nos rêves nocturnes, analysés sous un angle particulier par Bernard Lahire (2), qui signe un nouvel essai, L’interprétation sociologique des rêves, que je vais m’empresser d’aller acheter à ma librairie préférée.

Son ambition : renouveler de fond en comble la théorie freudienne du rêve, dont Didier Anzieu (3) affirmait : « Nul psychanalyste ne l’a mise en question et aucun des chercheurs des disciplines voisines (sociologie, ethnologie, psychiatrie, neuropsychologie, psychologie expérimentale et cognitive) n’a depuis près d’un siècle proposé avec succès une nouvelle conception du rêve. »

« A priori, rien n’est plus éloigné de la sociologie que le rêve, qui semble être un objet strictement individuel, une production imaginaire involontaire survenue durant le sommeil – donc durant un temps où le rêveur s’est retiré du flux des interactions sociales ordinaires, des sollicitations de son entourage extérieur. Incohérent en apparence, toujours mystérieux, le rêve incarne même ce qu’il y a de plus bizarre au sein du fonctionnement individuel… Bref, il représente un objet peu tangible pour la sociologie, qui préfère se tourner vers les groupes ou les institutions.

Pour Freud, le travail du rêve consiste toujours à transformer, déguiser un contenu latent inconscient en un contenu manifeste qui vient détourner la censure… Je ne crois pas, pour ma part, que l’inconscient soit le refoulé ni que la censure joue un rôle aussi important dans le rêve, je crois au contraire que le rêveur, qui est un narrateur omniscient, communique avec lui-même de façon très implicite. Si nous rêvons avant tout avec des images, le récit de rêve reste le seul accès possible au contenu de ce qui a été rêvé durant le sommeil. Objet complexe, le rêve est donc le mélange du produit de l’activité psychique à l’état endormi (le rêve vécu), de la remémoration (le souvenir du rêve) et de la formulation verbale à l’état éveillé de ce qui a été rêvé durant les périodes de sommeil (le récit de rêve).

Alors que pour Freud, le rêve est toujours la réalisation (déguisée) d’un désir (inassouvi), il est plutôt à mes yeux l’expression d’un problème en cours, non encore résolu par l’individu. Le rêve est donc tout sauf la mise en scène de situations désirées ; sans être toujours un cauchemar, le rêve est le lieu de tous les soucis, de tous les conflits, de toutes les préoccupations.

Comprendre de quoi nous rêvons, pourquoi nous rêvons sous cette forme-là et ce que cela dit de nos vies dans la société nécessite d’entrer dans la biographie sociologique du rêveur, qui consiste à reconstruire les expériences socialisatrices successives (familiales, scolaires, professionnelles, sentimentales, politiques, religieuses, culturelles) à travers lesquelles chacun s’est constitué.

Chaque entretien mené depuis deux ans, conduit à partir des récits écrits par les rêveurs, est singulier. Il procède à des explications-précisions, à des associations et à des questionnements biographiques en lien avec les différents éléments du rêve, en vue de révéler les problèmes liés à l’histoire personnelle des rêveurs qui structurent leur vie sociale.

Je ne les considère pas comme des patients, mais bien comme des enquêtés. Ce qui m’importe, c’est plutôt de ramener la psychanalyse dans le champ des sciences sociales et humaines. Je fais partie des quelques sociologues qui croient que la recherche en sciences sociales peut aujourd’hui progresser. Pour comprendre, il faut  unifier les efforts de connaissance émanant de chercheurs et de disciplines trop souvent séparés, voire concurrents. Le rêve est un objet parfait pour traverser les frontières disciplinaires et rassembler les savoirs dispersés. »

(1) Télérama 3550 du 24/01/2018

(2) Bernard Lahire, Professeur de sociologie à l’Ecole normale supérieure de Lyon (Centre Max Weber) et membre senior de l’Institut universitaire de France.

(3) Didier Anzieu, psychanalyste. Il a laissé une ouvre importante en psychanalyse, développant le concept de moi-peau, et ayant beaucoup travaillé sur les groupes, s’appuyant notamment sur les travaux de Wilfred Ruprecht Bion. A partir de l’influence d’autres psychanalystes comme Mélanie Klein et Heins Kohut, il a tenté avec beaucoup de finesse, d’analyser non pas les ouvres d’Art mais le processus créatif, la création. Sa réflexion sur l’ouvre de Samuel Beckett montre à la fois la particularité de l’auteur dans les liens avec la création mais aussi une tentative de modélisation d’une topologie propres aux créateurs.

Se renseigner sur les ateliers que j’anime sur l’identité professionnelle.

En savoir plus sur l’accompagnement Shynleï.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.